Herman Melville, Moby Dick
« Regardez la foule de tous ceux qui ont envie de l'eau !
Déambulez autour de la ville par un somnolent après-midi de dimanche. Allez de Corlears Hooks à Coenties Slip et, de là, au Nord en passant par White-hall. Que voyez-vous ? Sentinelles silencieuses, des milliers d'hommes sont là, plantés droits, raides, en pleine rêverie océanique, il y en a d'accoudés aux pieux, d'assis au bout des jetées ; quelques uns, par dessus les remparts, regardent les bateaux venant de la Chine ; d'autres encore sont grimpés en haut des mâts comme s'ils voulaient voir de la mer encore plus que ce qu'on en voit de la terre. Tous ceux-là pourtant sont des terriens enfermés la semaine durant entre des murs de plâtre, cloués aux banquettes, attachés aux comptoirs, rivés aux bureaux. Pourquoi sont-ils ici ? N'y a-t-il plus de prairies pour eux ? Que font-ils là ?
Mais regardez toujours... des foules arrivent, avançant droit vers l'eau comme si elles voulaient plonger. Que c'est étrange ! Tous ces gens pourraient flâner sous la voûte des entrepôts, là-bas, mais ça ne leur suffit pas. Rien ne peut plus les contenter sinon la plus extrême limite de la terre. Non, il faut qu'ils soient le plus près possible de l'eau, au risque d'y tomber. Sur des lieues et des lieues, les voici debout. Gens de l'intérieur des terres venus des sentiers, des allées, des rues et des avenues du Nord, de l'Est, du Sud et de l'Ouest, ici fraternellement unis. Et alors quoi ? Serait-ce la force magnétique des boussoles qui les attire ?
Regardez toujours... Vous êtes à la campagne, dans quelque haut pays des lacs. Prenez n'importe quel petit sentier - celui que vous voudrez - neuf fois sur dix il vous mènera dans un vallon et il vous laissera près d'un petit miroir de ruisseau. C'est magique ! Prenez le plus rêveur des rêveurs, plantez-le sur ses pattes, faites marcher ses pieds... il vous mènera sûrement à l'eau si l'eau existe dans ce pays. »
« Considérez la malice de la mer et comme ses créatures les plus redoutables glissent sous l'eau, invisibles pour la plupart, et traîtreusement cachées sous les plus belles teintes d'azur. Considérez l'éclat et la diabolique beauté de beaucoup de ses tribus les plus impitoyables, et comme est belle et délicate la forme de bien des espèces de requins. Considérez une fois de plus le cannibalisme universel de la mer dont toutes les créatures s'entre-dévorent, se faisant une guerre éternelle depuis que le monde a commencé.
Considérez tout ceci, puis tournez vos regards vers cette verte, douce et très solide terre ; ne trouvez-vous pas une étrange analogie avec quelque chose de vous-même ? Car, de même que cet océan effrayant entoure la terre verdoyante, ainsi dans l'âme de l'homme se trouve une Tahïti pleine de paix et de joie, mais cernée de toutes parts par toutes les horreurs à demi connues de la vie. Dieu vous garde. Ne poussez pas au large de cette île, vous n'y pourriez jamais retourner. »
« Regardez la foule de tous ceux qui ont envie de l'eau !
Déambulez autour de la ville par un somnolent après-midi de dimanche. Allez de Corlears Hooks à Coenties Slip et, de là, au Nord en passant par White-hall. Que voyez-vous ? Sentinelles silencieuses, des milliers d'hommes sont là, plantés droits, raides, en pleine rêverie océanique, il y en a d'accoudés aux pieux, d'assis au bout des jetées ; quelques uns, par dessus les remparts, regardent les bateaux venant de la Chine ; d'autres encore sont grimpés en haut des mâts comme s'ils voulaient voir de la mer encore plus que ce qu'on en voit de la terre. Tous ceux-là pourtant sont des terriens enfermés la semaine durant entre des murs de plâtre, cloués aux banquettes, attachés aux comptoirs, rivés aux bureaux. Pourquoi sont-ils ici ? N'y a-t-il plus de prairies pour eux ? Que font-ils là ?
Mais regardez toujours... des foules arrivent, avançant droit vers l'eau comme si elles voulaient plonger. Que c'est étrange ! Tous ces gens pourraient flâner sous la voûte des entrepôts, là-bas, mais ça ne leur suffit pas. Rien ne peut plus les contenter sinon la plus extrême limite de la terre. Non, il faut qu'ils soient le plus près possible de l'eau, au risque d'y tomber. Sur des lieues et des lieues, les voici debout. Gens de l'intérieur des terres venus des sentiers, des allées, des rues et des avenues du Nord, de l'Est, du Sud et de l'Ouest, ici fraternellement unis. Et alors quoi ? Serait-ce la force magnétique des boussoles qui les attire ?
Regardez toujours... Vous êtes à la campagne, dans quelque haut pays des lacs. Prenez n'importe quel petit sentier - celui que vous voudrez - neuf fois sur dix il vous mènera dans un vallon et il vous laissera près d'un petit miroir de ruisseau. C'est magique ! Prenez le plus rêveur des rêveurs, plantez-le sur ses pattes, faites marcher ses pieds... il vous mènera sûrement à l'eau si l'eau existe dans ce pays. »
« Considérez la malice de la mer et comme ses créatures les plus redoutables glissent sous l'eau, invisibles pour la plupart, et traîtreusement cachées sous les plus belles teintes d'azur. Considérez l'éclat et la diabolique beauté de beaucoup de ses tribus les plus impitoyables, et comme est belle et délicate la forme de bien des espèces de requins. Considérez une fois de plus le cannibalisme universel de la mer dont toutes les créatures s'entre-dévorent, se faisant une guerre éternelle depuis que le monde a commencé.
Considérez tout ceci, puis tournez vos regards vers cette verte, douce et très solide terre ; ne trouvez-vous pas une étrange analogie avec quelque chose de vous-même ? Car, de même que cet océan effrayant entoure la terre verdoyante, ainsi dans l'âme de l'homme se trouve une Tahïti pleine de paix et de joie, mais cernée de toutes parts par toutes les horreurs à demi connues de la vie. Dieu vous garde. Ne poussez pas au large de cette île, vous n'y pourriez jamais retourner. »